● Mon histoire

Au tout début de ma vie, je m’appelais Mariska Vesselowski, je suis née en Russie, à Moscou pour être précise. Ma mère m’aimait, en tout cas, je me souviens qu’elle me faisait des câlins, des bisous, elle était toujours dans les parages. Je ne me souviens pas qu’elle m’ait laissée pendant des jours seules ou à quelqu’un d’autre. Non, elle était toujours là pour moi et c’est certainement pour cela que mon sentiment d’abandon est encore plus dur à supporter : pourquoi une mère qui m’aimait tant m’a-t-elle vendue à ma famille d’adoption ? Peut-être aurais-je dû aller la retrouver plus tard mais je n’avais pas envie de lui pardonner, je n’avais pas envie qu’elle ait une bonne raison – celle de m’offrir une meilleure vie peut-être ? – parce que je n’aurai pas pu lui en vouloir plus. Parce que j’en aurais trop appris sur ma vie et sur ce que cela implique – ce que je ne sais pas encore – que j’ai une sœur et un frère plus jeunes que moi.

A l’âge de trois ans, je fus arrachée à ma mère, elle m’abandonna pour quelques billets, sauf qu’à l’époque, je ne le savais pas encore, je ne l’ai su que très tard, ma mère adoptive a fini par me dire la vérité. Elle avait payé pour me donner une bonne vie, elle travaillait pour l’Unicef et elle était tombée amoureuse de moi, elle avait voulu m’aider et aider ma mère biologique en nous donnant une bonne vie. Elle avait même promis à ma mère biologique de lui payer le billet d’avion si elle voulait me voir… Mais, je ne l’ai plus jamais vue et je n’ai jamais cherché à la retrouver, j’étais bien trop petite pour savoir ce que je perdais. Bien sûr, la psychiatre qui sommeille en moi vous dirait que la blessure d’abandon est inconsciente mais à l’époque, je ne m’en rendais évidemment pas compte. J’ai grandi entourée d’amour et de tout ce que je voulais, la famille Foster possédait un empire industriel, ce qui mettait ma mère à l’abri du besoin tout comme moi. Un an plus tard, ma mère me présenta son nouveau amoureux, celui qui quelques années plus tard deviendrait officiellement mon père. Très vite, ils devinrent les parents d’une autre petite fille, Savannah Foster, qui vint agrandir notre jolie famille. Puis, les Foster accueilleraient le dernier de la fratrie, Justin, un beau et adorable petit garçon qui, plus tard, en ferait voir de toutes les couleurs à mes parents et à ses deux grandes sœurs. Je n’ai pas à me plaindre de mon enfance, elle fut parfaite et pleine d’amour, c’est certainement pour cela que j’ai grandi pleine d’espoir en l’avenir, avec des projets plein la tête et une confiance aveugle dans la vie. Nous nous entendions tous très bien, nous étions unis et nous aimions au-delà de tout entendement.

Très tôt, je sus ce que je voulais faire de ma vie, enfin presque, j’hésitais entre l’aide aux autres et les arts. Très vite, j’ai compris qu’il faudrait que je me batte pour faire connaître mon art, mais bien que passionnée, je ne suis pas une ambitieuse, je ne l’ai jamais été. Pour moi, mon métier devait refléter mon âme, celle d’une artiste ou d’une altruiste mais pas celle d’un requin, ça n’était pas mon genre… Alors, je décidai de faire de l’art ma passion et l’aide aux autres un métier. J’ai commencé des études de médecine dans l’idée de devenir vétérinaire mais très vite, je me rendis compte que je ne supportais pas la vue du sang. Je décidai donc de me spécialiser vers la psychiatrie, l’étude de l’âme humaine afin de réparer ce qui n’allait pas me convenait mieux. Je suis arrivée première de ma classe ou plutôt souvent et pendant dix ans, j’ai passé mon temps sur les bancs d’école, l’argent de la famille Foster m’aidant fortement à pouvoir me consacrer uniquement à mes études. J’habitais sur le campus et ce fut les meilleures années de ma vie, je la vivais insouciante, pleine de vie, passant de flirts en flirts, essayant des choses que je n’aurais jamais cru possibles. J’étais fêtarde mais dans le raisonnable tout de même, mes études étant à mes yeux très importantes.

J’avais vingt-huit ans quand j’ai fini mes études de psychiatrie et j’entrais dans la vie active rapidement. J’acceptais la place de psychiatre dans un centre de revalidation, aider les gens qui ont perdu la motricité de l’un de leurs membres ou qui ont carrément perdu un membre était un job qui m’a tout de suite intéressé. Ce fut d’ailleurs une superbe expérience qui me fit passer du rire aux larmes et ce fut ma rencontre avec Jay Strickland qui fut la plus bouleversante. Lors de notre premier entretien je sus que je n’allais pas pouvoir continuer à être son psychiatre, il me plaisait et j’avais envie d’autre chose avec lui. Alors, je la jouais franc-jeu au bout de deux séances, toujours pleine de fougue et intrépide, je lui demandais d’aller prendre rendez-vous avec un autre psychiatre du centre pour que je puisse l’inviter à sortir. Cela le surprit mais à mon grand étonnement, il accepta et notre histoire pouvait commencer. Une belle histoire, une histoire qui dura quatre ans, quatre merveilleuses années qui se soldèrent par une petite fille, une mignonne et douce petite fille. Nous étions heureux, vraiment heureux, je voyais sur le visage de Jay le bonheur retrouvé, après toutes les épreuves qu’il avait endurées. Je voyais la petite bouille de ma fille, Grace, rire et sourire à la vie, elle était pleine de vie et nous donnait le sourire aussi… Nous étions heureux…

Et puis, il eut l’accident de voiture de Jay, un accident qui changea tout… Qui transforma notre bonheur en chute vertigineuse… Il y a quatre ans maintenant, notre famille explosa quand Jay eut un accident de voiture avec notre petite fille ; il en sortit indemne, elle ne serait plus jamais avec nous… Quand il m’a annoncé la nouvelle, je me suis effondrée, je ne comprenais pas ce qui m’arrivait, est-ce que c’était un cauchemar et j’allais me réveiller ? Je me suis pincée plusieurs fois pour être sûre que je ne rêvais pas… Je n’ai jamais su lui pardonner, j’ai essayé, j’ai vraiment essayé de toutes mes forces mais chaque fois que je le voyais, je me rappelais ce qu’il m’avait pris, ce que j’avais perdu parce qu’il était au volant… C’était injuste de ma part, injuste parce que j’aurais pu être celle qui avait tué notre fille mais je ne pouvais plus le regarder alors je suis partie, tout simplement, je suis partie et j’ai fui non seulement le père de ma fille mais surtout la ville où j’avais été heureuse, où ma fille avait grandi. J’ai tout quitté, ma famille y compris, mon job et Jay…

Je suis allée m’installer à San Francisco où j’ai très vite plongé ma tristesse dans l’alcool, n’essayant même pas de me trouver un nouveau job. Non, j’étais bien trop occupée à essayer de m’anesthésier le cerveau que pour penser à mon job. J’avais de l’argent, l’argent de ma famille pour m’en sortir et je n’avais pas d’autres problèmes que celui qui m’occupait. Ce fut une véritable descente aux enfers où je me suis coupée de tous mes liens : ma sœur et mon frère ont tenté de me rattraper. Mon frère étant tombé dans la dépression, il comprenait très bien ce que je vivais, c’est lui qui fut mon plus grand soutien, il acceptait ce que je vivais et restais près de moi pour s’assurer que je ne fasse pas de bêtises. Avec ma petite sœur, par contre, ce fut plus difficile, elle eut du mal à me voir aussi mal, elle qui me voyait toujours comme une épaule bienveillante, celle qui veillait sur la fratrie… Elle quitta San Francisco rapidement, me laissant avec Justin qui fut formidable avec moi. Pourtant, je lui en fis voir de toutes les couleurs, quand j’étais en crise alcoolémique, c’était une vraie catastrophe. Le déclenchement arriva quelques semaines plus tard, alors que mon frère me surveillait toujours, j’ai profité d’un moment de distraction de sa part pour quitter l’appartement et me rendis dans un bar où je bus sans m’arrêter… A tel point que le lendemain, je me suis réveillée le jean baissé et dans la ruelle près du bar… Je compris rapidement que je venais de me faire agresser sexuellement et je pleurai, je ne pus m’arrêter de pleurer jusqu’à ce que l’un des serveurs me remarque et me sorte de là. Il trouva le numéro d’urgence de mon frère qu’il appela pour venir me chercher. Il comprit très vite ce qui était arrivé et il mit toute son énergie à retrouver le salopard qui m’avait fait ça… Ce fut mon déclic, après cela, je me promis – et à mon frère aussi – de ne plus jamais boire une goutte d’alcool. Il me le fit promettre sur l’âme de ma fille…

Après cette histoire, il y a deux ans, nous sommes revenus à Oceanside, j’exprimai le besoin de retrouver mes marques et il accepta. Il n’avait pas trouvé la trace de mon violeur mais il préférait faire passer mon besoin avant tout. Quand nous sommes revenus, je n’ai pas voulu reprendre contact avec mes parents et ma sœur, pas tout de suite. J’avais honte, vraiment honte et je fis promettre à mon frère de ne rien dire sur mon viol… Personne n’est au courant à part lui et je ne veux pas en parler… Pour une psychiatre, c’est dur d’accepter de ne pas parler mais je sais que je le ferai une fois prête. Evidemment, j’ai repris une thérapie parce que non seulement, je n’ai pas encore surmonté ma perte, mon deuil mais en plus, je dois aussi faire face au traumatisme du viol… J’ai réussi à trouver un nouveau boulot, dans une association féministe qui aide les femmes à surmonter ce genre d’épreuves et à se soutenir les unes et les autres. J’ai retrouvé un peu de stabilité mais c’est difficile surtout que j’ai énormément de souvenirs dans cette ville mais mon job m’aide à tenir la tête hors de l’eau. En tout cas, je tente d’aller mieux, de remonter la pente doucement parce que je l’ai promis à ma fille… Même avec tous les événements qui se passent en ville, j'essaie de ne pas trop m'y attarder…